Entretien avec Barbara Rigassi, Managing Director, Fondation Guilé

TRIBUNES ROMANDES Différentes enquêtes relèvent que la "réputation de l'entreprise" reste en tête de liste des principales raisons de la politique de responsabilité sociale. Cela ne va-t-il pas à l’encontre des objectifs visés par la Fondation Guilé ?

Barbara Rigassi La performance d’une entreprise, à terme, est le résultat de sa compétitivité mais également de sa réputation. L’une ne va pas sans l’autre. De plus en plus les entreprises poursuivent des stratégies qui tiennent compte de ce concept de développement durable, sachant que leur réputation dépend largement d’une conduite basée sur des principes allant au-delà d’une seule vue économique. Elles abordent ainsi ces principes initialement sous une pression de gestion du risque de réputation, mais l’impact de cette démarche est bénéfique à long terme à l’entreprise et à toutes ses parties prenantes.

Aujourd’hui plus de 4000 entreprises ont par exemple signé les 10 principes du Global Compact, lancé il y a plus que 10 ans par l’ONU. Ces principes servent de cadre de référence de responsabilité entrepreneuriale pour leur stratégie d’entreprise. C’est là que la Fondation Guilé apporte sa valeur ajoutée: elle offre aux entreprises une analyse unique, succincte et exhaustive, une sorte de « cockpit », afin de leur permettre une stratégie basée sur les principes du Global Compact. Ensuite, par une approche de « best practice », elle met en réseau les entreprises pour qu’elles puissent échanger leur expérience dans la mise en œuvre de ces principes dans l’opérationnel quotidien de leurs affaires.

TRIBUNES ROMANDES Quelles stratégies ou moyens une pme locale peut-elle concrètement mettre en place pour favoriser une culture d’entreprise responsable ?

Barbara Rigassi Le développement d’une stratégie de responsabilité d’entreprise est indépendant de la taille de l’entreprise. Les mesures et les démarches concrètes sont différentes et doivent être adaptées à la réalité de sa taille, de sont métier et de sa sphère d’influence.

Le Global Compact s’est uni à l’initiative GRI (Global Reporting Initiative) afin de mettre à disposition des entreprises un cadre de reporting uniformisé et une palette d’indicateurs-clé de performance ; cette structure normative offre plusieurs niveaux de sophistication pour que les entreprises puissent offrir une information pertinente sur la gestion des principes du Global Compact en fonction de la taille et de la complexité de son modèle d’entreprise. Il y a donc des outils adapté à la taille des entreprises ainsi qu’à leur progrès dans le développement et la mise en œuvre de leurs stratégies visant à renforcer une solide culture d’entreprise responsable.

TRIBUNES ROMANDES Plus que par le passé, les citoyens sont sensibles au respect des valeurs sociales et éthiques. A quoi est dû cet éveil ?

Barbara Rigassi Il faut remettre en perspective l’attention portée aujourd’hui à ces questions dans un long historique d’initiatives internationales : en 1972 la Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm, en 1987 le rapport de la commission Brundtland, en 2002 le sommet mondial du développement durable à Johannesburg, etc. Toutes ces initiatives ont éveillé la conscience du citoyen aux défis de la globalisation : aux écarts de richesse entre les pays, aux salaires des dirigeants, au changement climatique, à la pénurie d'eau, aux économies émergentes comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, et, plus généralement, à la mondialisation croissante de l'économie.

En même temps les possibilités de communication (internet et médias sociaux) ont contribué à une sensibilisation rapide et accrue pour un « reporting » de l’information qui va bien au-delà des purs rapports financiers. Les « stakeholders » (parties prenantes) d’une entreprise attendent aujourd’hui une communication plus complète, ce qui amène les dirigeants à s’exprimer sur leur conduite en général, y compris leur stratégie en terme de responsabilité entrepreneuriale.

TRIBUNES ROMANDES Compte tenu des enjeux économiques, y-a-t-il une volonté des entreprises suisses de renforcer leurs actions en matière d’éthique dans les pays où elles sont présentes ?

Barbara Rigassi Oui et non. Il y a des entreprises qui s’engagent à traiter d’une manière intelligente la relation entre leur réussite et les pratiques éthiques de la conduite de leurs affaires. Mais cela s’inscrit encore trop souvent dans le contexte d’une bonne gestion des risques car la conscience que toute pratique illicite induit un risque pour l’entreprise – à court ou à moyen terme – nécessite une attention accrue du management. Les actions des entreprises suisses devraient aller au-delà de cette seule optique de risque. Mais oui, un nombre croissant de sociétés ont déjà réalisé qu’il y avait des opportunités considérables à saisir en suivant une stratégie qui intègre activement les thèmes de durabilité spécifiques à leur business et ainsi offrant des opportunités nouvelles de conquête de marchés.

Prenons par exemple une entreprise dans le domaine de l’alimentation : elle a grand intérêt à pouvoir garantir que ses fournisseurs de produits agricoles seront capables de continuer à produire à moyen terme, même dans des conditions-cadres différentes dues au changement climatique. Ou encore qu’elle saura anticiper les effets néfastes d’une nourriture malsaine en communiquant les risques et en offrant pro-activement des produits adaptés à une vie plus saine.

La Fondation Guilé est déterminée d’une part à soutenir les entreprises de pointe en termes de responsabilité d'entreprise afin de les inciter à être encore plus transparentes. Mais la Fondation a aussi pour mission, d'autre part, de motiver et d’accompagner celles qui n’ont pas encore pris conscience qu’elles ne gravitent pas dans un vide social et politique, mais qu’elles doivent développer une responsabilité par rapport au monde extérieur et à leurs parties prenantes, principalement par la transparence de leur information en coopération avec le Pacte Mondial des Nations Unies.

TRIBUNES ROMANDES Sachant que toutes les entreprises ont à cœur de préserver leurs intérêts, n’est pas un leurre de penser que les entreprises privées ont un rôle à jouer dans une zone de conflits ? Et si tel était le cas, ne serait-ce pas une ingérence ?

Barbara Rigassi La question cruciale pour ces entreprises-là est de déterminer dans quelles conditions elles peuvent travailler dans ces régions tout en contribuant à leur stabilité et leur développement durable.

Il y a déjà des exemples prometteurs, tels que l'Initiative de Transparence des Industries Extractives (divulgation des paiements à la fois des compagnies pétrolières et minières et de l'ASC de l'Etat bénéficiaires de prestations, afin de lutter contre la corruption), le Processus de Kimberley (schéma de certification) ou le Harkin-Engel-Protocole (protocole volontaire pour stopper le travail des enfants dans la production de cacao), qui démontrent que les entreprises ont certainement un rôle primordial à jouer dans ces régions – et qu’elles sont bien décidées à le faire. Bien entendu, ce n’est jamais à une seule partie prenante qui réussira à résoudre des conflits complexes, mais l’important est de retenir que chacune peut et cherche à y contribuer honnêtement dans le cadre de ses responsabilités et de ses moyens.

TRIBUNES ROMANDES Pensez-vous que l'émergence d'une économie mondiale plus durable et inclusive, soit possible ?

Barbara Rigassi Il n’y a tout simplement pas d’alternative à un développement durable ! Tous les acteurs - gouvernements, société civile, investisseurs, consommateurs, médias, et producteurs/entreprises cherchent désormais ensemble des solutions à ces questions concrètes. Mais ne soyons pas naïfs : il ne s’agit pas de résoudre tous les problèmes et tous les conflits mais d’avoir la capacité et la volonté d’aborder et de gérer ces conflits avec intelligence et respect mutuel. Il n’y aura jamais un monde sans conflits d’intérêts, mais on peut avoir l’ambition d’un monde dans lequel chacun s’efforce de comprendre et s’engage à contribuer au progrès durable.

La Fondation Guilé joue un rôle actif dans tous ces processus. Sa première vocation est de sensibiliser les acteurs à leur responsabilité entrepreneuriale et donc à leur contribution au développement durable. Sachant que les investisseurs jouent toujours un rôle plus important pour les décisions prises dans les entreprises, la Fondation a initié un concept unique de partenariat avec des Fonds d’investissement qui pratiquent l’engagement actionnarial : les Fonds Guilé. Ce concept comprend d’une part une analyse de responsabilité d’entreprise et un dialogue actif avec chaque entreprise des Fonds, et d’autre part un « benchmarking » pour les aider à progresser dans la mise en œuvre de leur stratégie d’entreprise responsable.

Interview réalisée par Thierry Dime

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