Une récente étude du Bureau d'études de politique du travail et de politique sociale (BASS) concluait à la persistance d’un écart salarial non- négligeable en même temps qu’à une part de discrimination effective résiduelle des femmes au niveau de leur salaire, dans l’ensemble de l’économie suisse.
Cette étude réalisée sur mandat de l’Office Cantonal de la Statistique et du Bureau Fédéral de l’égalité est d’autant plus pertinente qu’elle ne fasse notamment pas la traditionnelle assimilation entre discrimination salariale et écart de salaire. On associe en effet souvent, par un réflexe synonymique abusif, l’inégalité de salaire a la discrimination salariale.
La vérité est que la discrimination ne représente qu’une part minime dans l’écart de salaire les raisons de la persistance duquel sont en effet très complexes.
Celles-ci renvoient beaucoup plus au choix rationnel personnel des salariées qu’à une action intentionnellement désavantageante à leur égard de la part des employeurs. L’interaction d’une multitude de variables rend d’ailleurs l’étude du phénomène de l’écart de salaire très difficile ; certains de ses aspects se dérobent voire restent insaisissables pour une sociologie et une statistique qui, pourtant, s’y penchent avec une attention et une insistance accrues. De caractère multidimensionnel, l’inégalité salariale entre hommes et femmes est un phénomène qui fait intervenir des données collectives et individuelles tout en combinant des éléments politiques, économiques, institutionnels, organisationnels, juridiques et gestionnaires avec les singularités les plus personnelles.
Avant tout – et on l’a maintes fois dit- le parcours professionnel féminin est différent de celui des hommes. Il intègre la fameuse rupture pour cause de maternité, l’assomption essentiellement (à plus de 90 %) féminine d’un congé qui pourtant peut être conçu plus généralement comme « parental » et non uniquement maternel. Cette rupture influe sur la formation de ce qu’on appelle le capital humain dont il infléchit dans un sens négatif tous les éléments constitutifs : le nombre d’années d’études (structurant le diplôme), l’expérience et l’ancienneté.
L’investissement féminin dans ce capital reste donc moindre et plus prudent ; malgré l’évolution spectaculaire dans ce sens au cours des dernières décennies, l’interruption pour des raisons de grossesse et de maternité continuent à occasionner un sérieux retard surtout en ce qui concerne l’acquisition de l’expérience et l’ancienneté et finalement comme un essoufflement féminin dans le processus d’« l’accumulation » du capital humain.
D’autre part, occasionnant une sérieuse interruption dans la carrière, brisant souvent d’une manière dramatique un premier élan professionnel, la maternité et la vie de famille influent par la suite sur la reprise du travail. Pour mieux accommoder celui-ci aux obligations familiales, les femmes sont prêtes à changer d’activité sacrifiant, dans cette nouvelle recherche de travail, l’exigence monétaire (un salaire plus élevé) en échange d’avantages spécifiques, liés le plus souvent au lieu et au temps.
Aussi, voit-on les femmes préférer le travail de proximité ainsi que, et cela d’une manière assez nette - les emplois à temps partiel et les horaires flexibles. S’y ajoute aussi, pour une grande partie des femmes- épouses et mères, la recherche d’une ambiance professionnelle plus calme et d’un rythme de travail moins soutenu. On voit donc bien qu’avec des choix aussi volontaires et personnels allant d’une manière claire dans le sens de modalités avantageuses et par conséquent d’un salaire inférieur, on est bien loin de la discrimination économiquement voire socialement (sociétalement) imposée.
C’est d’une manière tout aussi naturelle et toujours en recherche de la proximité avec leur domicile que les salariées s’orientent vers des entreprises plus petites, les PME devenant ainsi les principales associées des femmes dans leur créditation d’une certaine cantonalisation du travail, d’une ségrégation professionnelle elle aussi parfaitement volontaire et non imposée. Nous pensons à la tendance toute naturelle de l’emploi féminin à se concentrer dans des secteurs précis et dont la préférence féminine pour les PME mais aussi pour le secteur public sont les manifestations principales.
Cette concentration de femmes dans un nombre relativement restreint de professions influence d’une manière positive l’écart entre les salariés des deux sexes : plus la prédominance féminine est grande dans une profession, plus l’écart diminue. Avec un écart de salaire de 3,5% en moyenne, l’Etat et la fonction publique apparaissent ainsi, comme le note l’étude récente de BASS, l’employeur pratiquant le moins l’inégalité salariale, une différence de 17, 6% contre 24,1% dans le secteur privé.
Mais alors où un résidu de discrimination salariale effective, différente cette fois de l’écart justifiable de salaire, persisterait-il encore ? Confirmant que la tentation de maintenir ce résidu reste grande dans les domaines des banques et des assurances avec une discrimination supérieure à la moyenne et correspondant à une différence de 12,2%, l’étude susmentionnée du BASS désigne comme comportement discriminant le plus prononcé les 18,9% d’inégalité marqués dans le secteur de l’industrie du textile. D’après la même étude, la discrimination serait la plus faible dans l’arc lémanique (7,9%) et la plus forte au Tessin (12%).
Mais cette discrimination tessinoise plus élevée a exigé, en 2007, une justice plus prononcée. Voire spectaculaire. En 2007, en effet, la Seconde Chambre civile du Tribunal d’appel condamnait la Radio- télévision de la Suisse Italienne à verser 342 000 Fr. à Francesca Molo, ex-journaliste de la radio. Longtemps sous- payée par rapport à ses collègues masculins qui empochaient 150 000 frs par année alors qu’elle en gagnait 115 000, avec la victoire dans sa lutte pour faire reconnaitre la discrimination dont elle était victime pendant des années, Molo a consacré un heureux précédent en Suisse Romande - un précédent sur lequel « d’autres femmes peuvent baser leurs revendications ». Cette victoire « fait jurisprudence », d’après les mots de la journaliste elle-même.
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