Genève est-elle entrain de devenir une ville impersonnelle et anxiogène. Par Nicolas Rozeau

C’est étrange comme les choses changent et comme tout change. Je me promène. Le matin, je traverse la ville à pied. Le soir, je rentre par d’autres chemins… Un klaxon… Pendant que j’écris ces mots à la terrasse d’un café de la rue des Eaux-Vives, les pendulaires transitent d’un côté et de l’autre. C’est-à-dire, vers le Valais et la France voisine. Genève ville de passage absorbe tant bien que mal ses entrants et ses sortants. En journée, le village genevois est devenu une métropole. Dorénavant, on y circule aussi mal qu’à Paris aux heures de pointes.

Des radars à tous les feux, une pluie d’amendes incessantes, des transports en commun prisonniers du trafic et des travaux, des feux désynchronisés, ça plane pour la circulation... Dès les premiers rayons de lumière aux douanes françaises les plaques d’immatriculation de toute la Suisse et de tous les départements de France se bousculent… A l’intérieur de la citadelle déjà une multiethnicité s’éveille à ce nouveau jour. Il y a une dizaine d’années, j’ai le souvenir d’avoir cherché à habiter aux Pâquis. A l’époque, il régnait dans ce quartier une ambiance bohême et artistique. Il y avait surtout une énergie vive et animée un peu bon enfant. Aujourd’hui, traverser les Pâquis dès la tombée de la nuit est devenu un acte d’héroïsme et une aventure. Sans âme et sans cœur, c’est ce que devient peu à peu la région franco-valdo-genevoise.

A cet instant, il est devenu impossible de cacher une misère trop présente, des dealers par centaine, une prostitution de luxe et l’autre, la moins glamour et la plus visible. Partout de grands enfants somme toute trop gâtés par une conjoncture favorable ou à l’inverse rongés par les soucis et perclus par la peur de perdre ou de ne pas avoir se sont emmurés dans leurs maux. Avec tout cela, Genève devient une forme impersonnelle et anxiogène. C’est un fait, il y a de la nostalgie dans mes propos car mes camarades et moi-même avons aimé le temps où il faisait bon se promener dans la cité de Calvin, dans ses parcs et en soirée au bord du lac. Un temps où l’on pouvait laisser son vélo non attaché contre un arbre, traverser une rue dans les clous sans se soucier de perdre la vie, errer dans la vieille ville, oublier de fermer la porte de son logement, voir les cyclistes dans l’obscurité équipés avec de petites lumières, discuter sympathiquement à droite à gauche… De petites choses simples qui ajoutées les unes aux autres dessinent le portrait d’une révolution qui défigure cette cité. Saudade de Genebra se laisse conter par toutes celles et tous ceux qui aiment Genève.

Dès lors, nous n’assistons pas à un changement de société, bien au contraire, nous participons chacun à notre niveau, bon gré ou mal gré, à un profond bouleversement de notre rapport à l’Autre. Et envers et contre tout, notre région est le reflet le plus parfait, intense et révélateur des causes et des effets de notre civilisation. A nous de nous adapter à un autre univers, d’autres mœurs, d’autres mentalités et d’autres comportements. Ce qui pourrait être considéré par certains comme une invasion de l’espace, de la sphère professionnelle et de la terre est pour d’autres une bénédiction, une aubaine, une prise de possession, voire un droit de propriété. Sur le thème de « l’étranger/frontalier », demandons-nous si l’exploitation des peurs et des différences est une stratégie politique d’avenir ? L’attractivité de ce poumon économique est immense. Une richesse croissante, des gens favorisés par l’échange de monnaies et des flux économiques. Mais également en parallèle une augmentation des incivilités comportementales dans ce que furent autrefois le pagus major Genevensis et le comes gebennensis.

La vision est claire. L’érosion et la paupérisation des classes moyennes génèrent une pauvreté financière ainsi qu’une misère sociale. L’évolution est en route et rien ne l’arrêtera… Sauf… Sauf peut-être le courage, la responsabilité et l’engagement de nos dirigeants et de nos élu(e)s ? Pour revenir à la misère, c’est le peuple qui est attaqué dans sa demeure. Des gens ordinaires et sans histoires frappés par cette onde de choc systémique. Des hommes et des femmes passant de la possession à la dépossession sans pouvoir ni choisir, ni agir… Je remarque en me promenant de plus en plus de personnes fouillant les poubelles, mais avant d’atteindre cette situation, d’un côté et de l’autre de la frontière, on s’expatrie pour chercher refuge là où le coût de la vie reste décent. Pourtant dans les rues du centre que de belles vitrines et de belles voitures dans lesquelles mon image se reflète… Oh miroir, mon beau miroir, dis-moi…

Prenons le temps d’Etre ! D’être ouvert à soi et à l’autre. Prenons le temps d’exister à nous-mêmes. Prenons le temps de respirer, de marcher, d’écouter et d’observer. Dans notre ville symbole du lucre, la seule solution est de revenir à l’humain. Qui parle des bienfaits des petits artisans, des petits commerces, des personnes qui sauvent, éduquent, surveillent, soignent, servent, protègent, cultivent et nourrissent ? Ils sont pourtant le cœur de la cité. Ils sont la sève de nos citadelles malades. A bien des égards directement ou indirectement nous dépendons d’eux. Revenons à nos racines, à ce qu’il y a de vrai et d’authentique en nous. A la simplicité d’une discussion impromptue, à la flamme qui jaillit d’une rencontre. Sans quoi demain, il y a fort à parier que naîtra dans notre univers la voix désenchantée d’un monde en souffrance et en colère. Hâtons-nous de retrouver la joie de vivre, le sens du civisme et celui du partage avant qu’il ne soit trop tard… Avant que la morosité ambiante et la veulerie grandiloquente imprègnent chacune des pierres de nos temples et autres forteresses. C’est étrange comme les choses changent et comme tout change. Je me promène. Le matin, je traverse la ville à pied. Le soir, je rentre par d’autres chemins…

 

Nicolas-Emilien Rozeau – Rédacteur

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