Dans les années 2000, changeant ses allures quelque peu classiques pour intégrer d’autres horizons culturels européens, abandonnant ce relatif marasme où l’avait trouvé la fin des années 90 et renaissant de ses cendres (même si celles-ci avaient l’air plutôt d’une brillante poussière d’étoile !), le Concours de l’Eurovision de la Chanson s’est transformé en un formidable méga- concert, s’affirmant une fois de plus comme un évènement unique, sans conteste quand il s’agit d’être désigné comme le « Show favori des Européens ».
Le grand élargissement à l’est qui s’est poursuivi durant la décennie précédente culmine cette année avec l’envol du Concours pour Azerbeidjan et sa première édition en dehors des frontières géo- politiques de l’Europe
C’est donc bien en terre de Caucasie que les questions de Tribunes romandes ont trouvé Monsieur Jon Ola Sand, le Directeur Exécutif du Concours de l’Eurovision de la Chanson, qui a accepté de nous parler des défis de cette édition quelque peu insolite, de ceux posés par l’intégration des pays de l’Est ainsi que des moments les plus beaux qu’a connus le « Show favori » à travers les années.
Tribunes romandes : Monsieur Sand, vous êtes le Directeur exécutif du Concours de la chanson de l’Eurovision depuis 2010. Pourriez-vous décrire en quelques mots votre responsabilité dans l’organisation de ce qui est l’un des plus grands TV- événements du monde ?
Jon Ola Sand: Dans ma qualité de Directeur Exécutif du Concours de l’Eurovision de la chanson, j’ai la responsabilité complète de l’organisation des trios shows[1] et plus généralement, de toute la partie logistique de l’événement. Il s’agit plus concrètement de superviser la gestion du centre de presse, du transport, de la sécurité et du séjour des participants dans les hôtels de la ville- hôte. Comme chaque année, c’est la télévision publique du pays- hôte, en l’occurrence cette année Ictimal TV, qui s’occupe de la mise en pratique de tout cela. Mon travail consiste effectivement à veiller à ce que les préparatifs se déroulent bien et en application du Règlement de l’ESC établi à cette fin. En ce moment, je suis sur place à Baku, travaillant sur une quantité incroyable de détails qui doivent être arrangés avant l’arrivée, dans seulement quelques jours, des délégations des différents pays.
Tribunes romandes : Pour la première fois des 57 ans d’existence du Grand Prix de l’Eurovision, ce concours aura lieu en dehors des frontières géo- politiques de l’Europe. Quel a été le plus grand défi que l’Union Européenne de Radiodiffusion (UER), principal organisateur de l’évènement, a dû rencontrer dans la « délocalisation » asiatique du show favori des Européens ?
Jon Ola Sand: Les défis ne sont pas très différents de ceux rencontrés les années précédentes. Le Concours de l’Eurovision de la Chanson est un grandiose et très complexe dispositif et par conséquent c’est le temps qui est notre principal ennemi. Certes, la manière de travailler en Azerbaijan est un peu différente qu’ailleurs en Europe mais, en ce qui me concerne, je poursuis ma mission tout en comprenant et respectant les différences culturelles. Et je suis aidé en cela par une équipe azerbaidjanaise très professionnelle, très dévouée à tout ce qui est lié à l’organisation du Concours de l’Eurovision de la Chanson et qui a d’autre part respecté toutes nos exigences et honoré tous nos délais.
Tribunes romandes : Après une période où les participants des différents pays présentaient presque sans exception leurs chansons en anglais, le ESC (Eurovision Song Contest) voit, surtout depuis l’année passée, un retour des langues nationales. Est-ce que vous approuvez la large confirmation que reçoit cette tendance à Bakou ?
Jon Ola Sand: J’apprécie beaucoup le fait que les artistes prennent la liberté de chanter en leur langue et d’utiliser des instruments et autres éléments propres à leur culture. Le Concours de l’Eurovision de la Chanson est un événement culturel pan- européen et je suis heureux que cela puisse être reflété par la diversité linguistique des œuvres.
Tribunes romandes : Bien que souvent rivaux sur le plan politique, les pays limitrophes de l’Europe de l’Est se soutiennent fervemment l’un l’autre au moment du vote, s’attribuant mutuellement le plus grand nombre de points. Est-ce que vous croyez que les mesures déjà prises sont suffisantes pour limiter les effets de ce vote « voisin » ?
Jon Ola Sand: Nous avons restitué les jurys professionnels en 2009 dans le but de contre- balancer le vote voisin ou diasporal. C’est pourtant naturel que les audiences dans certains pays de l’Europe comme ceux de la Scandinavie ou des Balkans votent pour des chansons qu’ils ressentent comme familières ou pour des artistes qu’ils connaissent et apprécient déjà grâce à l’échange entre voisins. Toutefois, un jury professionnel était nécessaire pour examiner plus scrupuleusement les chansons et de faire cet examen à partir d’une perspective différente de celle la pure familiarité culturelle.
Tribunes romandes : Bien que, effectivement, souvent controversé, l’élargissement à l’est du Concours de l’Eurovision paraît en définitive bien réussi. On peut même y voir un mini- modèle d’intégration. Est-ce que vous croyez que le Concours peut donner à l’Union européenne quelques leçons, notamment, en intégration d’entités culturelles nouvelles ?
Jon Ola Sand: Les pays de l’Europe de l’Est, nouvellement arrivés, n’ont fait que rendre au Concours de l’Eurovision la vitalité et l’ambition de ses premières décennies. Ces pays sont en effet venus pour gagner et cela a retenti comme une sonnerie aux oreilles des « vieux » pays participant au Concours. Je ne suis pas la personne juste pour dire si c’est de cette manière aussi que doit se réaliser l’intégration dans l’EU mais une chose est sûre : le Concours de l’Eurovision de la Chanson est un exemple remarquable d’unité et de succès dans une Europe troublée et incertaine.
Tribunes romandes : Monsieur Sand, je suppose que vous avez commencé à regarder le Concours de l’Eurovision quelques années avant de devenir son Directeur exécutif. Si vous devez attribuer les mythiques Douze points à l’un des participants pendant toutes ces années, quel chanteur ou groupe en récompenseriez- vous ?
Jon Ola Sand: Eh bien, je préfère partager ceci en trois différents Douze Points : « Nel Blu dipinto di blu » (Volare), la chanson qui a représenté l’Italie au Concours en 1958. Elle est devenue un énorme succès à la fois en Europe et aux Etats- Unis et a montré que le Concours de l’Eurovision est une source de chansons capables de franchir les limites de la scène et d’être reprises par les masses. En 1974, « Waterloo » est devenu un autre grand succès international qui annonçait déjà l’un des meilleurs groupes pop de tous les temps. C’était aussi le début du phénomène de pop suédois moderne dont on connaît tous la présence durable sur le marché européen et américain. Et finalement mais non en dernier lieu – la victoire d’Alexander Rybak qui, en 2009, a brisé le record des points obtenus par un gagnant du Concours. Etant moi- même Norvégien, je suis certainement partial mais je suis vraiment persuadé que l’on se souviendra de l’interprétation et du charme juvénile de Rybak de longues années encore.
Interview réalisée par Dessy Damianov, rédactrice pour le magazine Tribunes Romandes
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[1] Il s’agit des deux Semi- finaux (les deux tours éliminatoires du Concours) fixés, cette année, respectivement au 22 et au 24 mai, et de la grande Finale qui aura lieu le 26 mai. (NR).
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