Nous sommes tous des Nabilla

Nous sommes tous des Nabilla. Et oui, c’est ainsi. Que vous l’ayez choisi ou non, vous l’êtes par la force des choses. C’est cela le dilemme et le paradoxe qui nous nourrissent, nous pèsent, nous amusent, nous désespèrent, nous inspirent ou nous indiffèrent. Nous sommes tous liés au syndrome « Nabilla ». C’est qui ? C’est quoi ? Même si vous ne la connaissez pas, vous l’aurez sûrement vue. Car les nombreux médias qui dénoncent son OPA médiatique sont ses anges gardiens.

Nabilla est une jeune femme originaire d’Annemasse en France. Dès son apparition, la véritable nature de l’espace médiatique français a été mise en lumière. Même les déclinologues et autres experts qui meublent avec ferveur cette espace depuis 2008 ont dû s’effacer devant cette créature venue d’ailleurs. Certainement aussi experte et plus compétente dans bien des domaines que bien des experts eux-mêmes.
Son histoire commence avec la rencontre de professionnels qui l’ont auditionnée, placée et enfermée selon des critères très spécifiques dans une émission de téléréalité. Comment ? Où ? Pourquoi ? Ne m’en demandez pas plus, je n’en sais rien. Cela fait longtemps que j’ai limité l’usage de ma télévision au strict minimum. C’est-à-dire à pas grand-chose. Nabilla est un produit de grande consommation télévisuelle. Et peut-être pour la France le meilleur remède contre la morosité ambiante… 

Il semblerait que cette jeune femme ne revendique rien. Elle est juste elle-même. Elle n’a rien, donc rien à perdre. Décomplexée, fruit de l’industrie du divertissement anglo-saxon qui a pour objectif d’abêtir les foules, Nabilla est un organisme vivant qui génère de l’argent en brassant de l’air. Est-ce pour cette raison que tant de politiques français l’apprécient ? Jeune femme qui confirme la suprématie de l’ère du marketing, de l’image et de la communication. Du même coup, par son positionnement et sa posture, elle dévoile le néant qui anime tous les médias qui se sont jetés dessus comme des chiens enragés. Eux-aussi coquilles vides et fomenteurs de la décadence culturelle de notre époque. Nabilla s’amuse de leur inconsistance virale et chronique. Des médias prêts à dire, à faire et à montrer n’importe quoi pour doper leur vente et audimat. Le duo grossièreté et médiocrité est le fer de lance du déclin de notre civilisation.

C’est un fait, la France par l’intermédiaire de ses médias glisse de plus en plus vers le modèle américain. Une information continue qui dit tout ou rien en fonction de ses actionnaires, des séries, des jeux et de la téléréalité en nombre. Néanmoins, Nabilla dans tout ce panorama est bien plus qu’un effet de manche ou de mode. D’une part, elle connaît le fonctionnement des médias et leurs codes. D’autre part, des personnes peuvent s’identifier à son parcours et la jeunesse peut y voir une forme de réussite. Partir de rien, n’être personne, ne rien faire et réussir à gagner de l’argent. Mais mieux encore, devenir célèbre. Le songe idéal pour beaucoup. Le miracle de la télé du 21ème siècle : transformer des ânes en chevaux de course et des chevaux de course en ânes. Il n’en reste pas moins que la pauvreté de ce paysage médiatique impacte l’ensemble de la société française et ses voisins francophones.

Loana, Zahia, Nabilla, DSK, Cahuzac, la guerre dans les partis et entre les partis, la violence dans le monde jetée au JT de 20h, les scandales financiers et politiques présents et à venir… La conjonction de l’absence de morale et d’ordre politique et médiatique associée aux privilèges, à l’hypocrisie et aux mensonges produit ce spectacle désolant. Le virus : consumérisme, mercantilisme, marketing et individualisme à outrance. Politiques et médias français sont en train de saborder cette grande nation avec allégresse. Ils ont fait allégeance aux sondages court-termistes et à la quête de pouvoir à des fins personnelles. Pendant ce temps, Nabilla surfe sur la vague. La désolation est devenue le fil conducteur et l’image d’une société en perdition. La jeune femme a détrôné les footballeurs, atomisé les chanteuses kleenex, mis au placard les actrices et autres top-modèles et anéanti tous les artistes, les chercheurs et les professeurs. En un jeu de mots, elle a ridiculisé la notion d’effort, de travail, d’éducation. Nabilla trône sur la misère d’un système à la dérive.

Il en va ainsi, une fois la boîte de Pandore ouverte dans le sens de la médiocrité intellectuelle et de la petitesse de ses médias, c’est tout le système qui périclite vers un déclin national inéluctable. La régression devient alors le pivot de l’édification des mentalités et des idées. La spirale de la détresse culturelle, sociale et de la dépression individuelle s’enclenche… Dans une déroute des valeurs et des traditions, Nabilla révèle les terribles failles d’un système qui détruit ses richesses avant même de les avoir identifiées. Plus de perspectives, ni de rêves et encore moins de repères à suivre, le néant, la voie est libre. Avec l’aide de quelques conseillers, la jeune femme s’est appropriée naturellement tout l’espace médiatique. En s’échappant de sa prison de verre, elle s’est jouée du système. Un système qui sert les intérêts financiers de quelques-uns en aliénant la réussite et la création de tous les autres. Au grand nom du buzz, de l’audimat qui règne comme un indicateur de performance sur nos existences, les vrais talents et la responsabilité individuelle qui structurent l’économie réelle et donnent l’envie d’entreprendre intéressent-t-ils encore quelqu’un ?

Nicolas-Emilien Rozeau- Ecrivain & Chroniqueur pour le magazine Tribunes Romandes

Copyright © TRIBUNES ROMANDES - Tous droits réservés

Partager cet article

1000 caractères restants
Antispam Rafraîchir l'image

DOSSIER

Le paradoxe de la mode transgenre

"Nous pouvons être plus belles que des vraies femmes" scande une personne du troisième sexe lors d'un concours réunissant des hommes opérés devenus "femmes". Le résultat est impressionnant : maquillage parfait, poitrine bien dessinée, taille fine, fesses en béton armé. Les interventions chi...   A lire..

INTERVIEW

Entretien avec Nicolas-Emilien Rozeau à propos de son recueil : « Chroniques onusiennes et autres aventures »

Tribunes Romandes Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à rassembler ces textes aux sujets et points de vue divers pour en faire un recueil ? En tant ...   A lire..

EVASION

Observer des ours sur la côte ouest du Canada

La région de la Colombie-Britannique sur la côte ouest du Canada fascine tout d’abord le voyageur par son impressionnante chaîne de montagnes appelée Cariboo, un endroit tout indiqué pour y observer les ours. Par exemple...   A lire..

EDITORIAL

Humains de compagnie pour animaux?

S’il y a bien une chose à laquelle ne pensent pas les enfants lorsqu’ils demandent « Je veux un chien/chat/hamster/lapin/ragondin » c’est au prix que c’est touffe de poil va coûter...   A lire..

100% FEMME

La couleur des sentiments, roman de femmes extraordinaires

Alors que tout le monde se précipite dans les salles obscures pour découvrir le nouveau film de Tate Taylor, La couleur des sentiments (The Help en version originale), moi, je me bouche les oreilles et je plonge dans le roman qui l’a inspiré. Co...   A lire..

VOS DROITS

J’ai reçu un commandement de payer pour une somme que je ne dois pas. Que puis-je faire ?

Il faut d’abord savoir que l’autorité de poursuite ne regarde jamais si un commandement de payer est fondé ou non, c'est-à-dire si vous êtes réellement débiteur de la personne qui vous a envoyé le commandement de payer. Il est alors tout à fait possible que vous en receviez un pour une somme qui n’e...   A lire..

Santé et bien-être

Le choix du féminin

Les tendances des dernières fashion weeks parlent d’elles-mêmes. Sur la scène de la mode actuelle, le féminin brille sou...   A lire..

SPOTLIGHT

Entretien avec Laura Desgalier, par Nicolas Emilien Rozeau

Laura Desgalier, vous êtes découvreuse d’artistes, journaliste, chroniqueuse et programmatrice de choc sur les ondes hertziennes de www.alpradio.ch, qu’est que la radio AlpRadio ?   A lire..