DE GATSBY, SCARLETT ET LES AUTRES

A l’heure où Gatsby le Magnifique est porté pour la deuxième fois sur le grand écran, au début aussi d’un été qui veut son lot de lectures belles, émouvantes et qui- font- rêver, on pense et repense aux grands classiques de l’amour de la littérature mondiale et à leurs transpositions au cinéma. Avec Gatsby comme œuvre inaugurale de cet été romanesque (et pourquoi pas romantique ?), celui-ci a plutôt un visage américain- californien et en toute logique nous invite à revisiter un autre chef-d’œuvre littéraire de l’amour né en cette même terre d’Amérique : l’incontournable Autant en emporte le vent.

Roman de caractères, l’histoire racontée par Margaret Mitchell, rappelons-le nous, n’est pas une histoire d’amour à proprement parler. En effet, le mythe du grand amour ne fait pas bon ménage avec des personnages à caractère fort et bien affirmé. Qu’il soit une invention littéraire ou une réalité affective effective, ce « grand amour » est par définition fusionnel, or, la fusion est exactement la dernière chose que l’on puisse attendre d’une Scarlett O’Hara et de Rhett Butler, les protagonistes d’Autant en emporte le vent. Les personnalités bien affirmées des deux personnages sont loin d’être faites pour fusionner ou pour fondre ensemble : tout au contraire, c’est dans l’amour qu’elles re- consacrent leurs particularités et leurs divergences. L’adaptation cinématographique avec Vivien Leigh et Clark Gable aidant, lectrices comme lecteurs considèrent l’oeuvre de M. Mitchell comme l’une des histoires les plus romantiques de tous les temps. On peut se demander comment l’auteure a-t-elle réussi à donner cette impression alors qu’à la base elle a écrit le roman d’une double guerre – d’une guerre politique (entre le Nord et le Sud) et d’une guerre affective (entre un homme et une femme) ? C’est justement là toute la maîtrise de Margaret Mitchell : c’est d’avoir su, dans sa large et très réaliste fresque où prédominent conflits, catastrophes et fléaux, intégrer quelques trêves où subitement vient s’intercaler l’amour et qui, justement à force d’être brèves, subites et rares, apparaissent comme très « romantiques ». La plus célèbre de ces trêves est bien évidemment le long « kiss » entre les deux partis amoureux mais belligérants, un baiser devenu effectivement légendaire pour les millions de fans du roman et du film.

     Si dans l’œuvre de Mitchell et dans son écranisation par V. Fleming, l’amour est obligé de composer avec des forts caractères, dans d’autres romans (et « leurs » films), il s’agit bien d’une passion fusionnelle, souvent destructrice. C’est le sentiment décrit dans les Oiseux se cachent pour mourir Colleen Mc Cullough et dans cette Belle du Seigneur d’Albert Cohen dont raffolent plus spécialement les lecteurs francophones. Ces œuvres ont essayé de transcrire le mythe du grand amour tel qu’il apparaît quand il est pensé comme la passion d’une vie et plus encore – comme un absolu à atteindre. Dans les deux cas, c’est aussi un sentiment complètement fusionnel. Les partenaires amoureux perdent leurs propres personnalités pour former ensemble un tout ; d’autre part, telles d’insignifiantes contingences, ils s’effacent pour mieux faire éclater le sentiment lui-même - l’Amour avec majuscule. A la différence avec le mutin et espiègle Autant en emporte le vent, dans Les Oiseaux se cachent et surtout dans Belle du Seigneur, amour ne rime plus avec humour. C’est plutôt le contraire : dans le roman de Cohen, l’Amour est véritable une idole qui renouvelle ses énergies en exigeant des sacrifices perpétuels des deux partenaires qu’il finit par épuiser.

A cet univers quelque peu morbide peut nous arracher un autre roman – le meilleur parmi les classiques de l’amour, d’après mon modeste avis personnel. Il s’agit de l’Amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez. Là aussi, c’est la passion d’une vie qui est mise en scène mais avec combien plus de réalisme, de vérité humaine, de pénétration psychologique ! Le Prix Nobel de littérature de 1982 y rappelle que l’amour mutuel, l’amour partagé, n’est pas quelque chose d’acquis d’avance comme le chante avec tant de facilité un Albert Cohen ainsi que tout le chœur des auteures de romans à l’eau de rose. G. Marquez montre que l’amour est souvent l’objet d’une longue et pénible (re)conquête et c’est à une telle reconquête que Florentino, le héros principal du livre du célèbre Colombien, consacre sa vie.

Cela vous rappelle-t-il quelque chose ou quelqu’un ? Eh oui, c’est encore et toujours le Magnifique Gatsby. Avec Gatsby de F.S.Fitzgerald et Florentino de G.G. Marquez, l’amour est suffisamment puissant mais aussi suffisamment patient pour pouvoir se transformer en une force constructive et bâtir au lieu de tout ébranler sur ce passage. C’est tout à fait à l’opposé de Belle du Seigneur dont les personnages, le grand seigneur et sa belle, dilapidant tout au long de l’histoire leur fortune – au nom du grand amour ! - se voient devenir de véritables parias à la fin. D’accord, c’est peut-être un autre point de vue sur l’amour, mais alors ce point de vue est mal défendu dans le roman d’A. Cohen dont le pathétique exclusivisme, les sublimités de pacotille et les extravagances, s’ils ont indéniablement leurs admirateurs fervents, laissent d’autres lectrices et lecteurs assez peu convaincus et à la limite du malaise. Je fais partie de la catégorie et je pourrais dire qu’aux sublimités trop faciles je préfère largement le grand amour au visage humain, l’amour patient, l’amour fidèle, l’amour constructeur et constructif décrit par Garcia Marquez et par Scott Fitzgerald.

Et je trouve Florentino et Gatsby vraiment magnifiques 

Dessy Damianova, rédactrice Tribunes Romandes
2013- Tribunes Romandes tous droits réservés

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