Si la définition de l’artiste pouvait se dessiner, alors sous les traits de Didier Mouron naîtrait Didier Mouron. Didier Mouron. Didier Mouron. Didier Mouron. Qui est Didier Mouron ? Un artiste, certes. Un bédéiste ? Non. Un photographe ? Non. Un peintre ? Non. Un dessinateur de mode ? Non. Un dessinateur tout court ? Non plus. Didier Mouron est un maître du crayon. Il a fait de la maîtrise absolue du crayon son art. Il a redonné ses lettres de noblesse à la mine en graphite. Par goût et par affinité, il utilise le même porte-mine 2B de chez Caran d’Ache acheté le 1 septembre 1973.
Son crayon l’a conduit dans le monde entier. De Paris à Tokyo, de Los Angeles à Sydney, de New York à Paris, ses traits sont estimés par les plus grands collectionneurs. Dans une extrême simplicité, l’artiste m’accueille sous son toit pendant près de trois heures. Une fois encore « nul n’est prophète en son pays » et Didier Mouron ne fait pas exception à la règle. L’homme a fait de sa vie un rêve, le rêve est devenu sa vie. Il a rêvé de vivre au Canada, il est parti avec son épouse pendant dix ans vivre dans le grand Nord canadien. Ils se sont installés sur une terre sauvage, retirée et rude de ce pays. Ils ont traversé les Etats-Unis en mini-van, vécu à Los Angeles et ailleurs. L’artiste a exposé dans les quatre coins du monde et même dans le désert.
C’est chez lui au-dessus d’Yverdon, à Giez, qu’il m’accueille dans son univers. L’endroit est une vieille demeure familiale récemment rénovée. Des poutres et des pierres apparentes dessinent le corps intérieur. De grands volumes. Une partie habitable. Une partie non-habitable. Une partie à vivre. Une partie à rêver. Une fois encore, l’artiste a matérialisé son existence sous les traits de son crayon. Dans la partie du songe éveillé, une grange attenante à la maison. Ses chefs d’œuvre sont projetés sur un grand écran accroché en hauteur sur la paroi. Un escalier cossu en bois clair nous guide dans ce vaste lieu d’exposition et de création. Les fameux « Totm » exposent son travail et se tiennent sur la passerelle supérieure. Sur les murs bruts sont accrochés les rêves encadrés. Deux petites tables rondes, huit chaises, un banc, un lampadaire, une fenêtre avec un géranium et un éclairage de rue, une rue même, un décor sorti tout droit d’un film de Walt Disney.
Dans un angle, une maisonnette. L’atelier de l’artiste. L’œuf dans le nid. La porte s’ouvre. Le cœur de la création est immaculé. Une sensation de netteté, d’intimité et de chaleur se dégage du lieu. Une table d’architecte blanche, propre et lisse. Une petite lampe pour une lumière régulière, précise et légère. Des couleurs neutres à l’intérieur. Tous les ingrédients sont réunis pour permettre à la main d’allonger le rêve sur la pureté et la perfection de la toile. L’instinct joue avec l’imagerie du rêve. Comme toujours, ce rêve est une image dans la tête de l’artiste. Le silence est absolu. Après avoir parcouru le monde, Didier Mouron revient à ses racines, dans ce pays qui l’a vu naître, peut-être pour aller encore plus loin ?
Tribunes Romandes Didier Mouron, comment tout a commencé ?
Je suis venu au crayon par manque de connaissance. Des crayons, il y en a dans tous les gobelets de cuisine. Les premiers gestes expressifs d’un enfant vont se faire avec un crayon. Parce que cela semble facile, de le poser, de le pousser et le trait se marque. J’ai grandi à Chardonne Mont Pèlerin (VD). Un village un peu éloigné de la ville. J’ai couché toutes les émotions de mon adolescence sur le papier. A force de pratique, comme tous les outils, j’ai appris à dompter le crayon. Je n’étais pas destiné à une carrière artistique. Tout ce que je faisais restait dans un cartable ou était détruit. Le crayon, c’était ma vanne d’expression humaine. C’est beaucoup plus tard, vers 19 ans, que des personnes ont voulu voir mes créations. Sans m’en rendre compte, j’avais acquis une technique. Peu de monde est capable de réaliser une peinture en dessinant d’une traite. Pendant des années, je ne me considérais pas comme un artiste, alors je poussais la technique à son paroxysme. Je me mettais au défi personnellement. C’est devenu un art et je me suis rendu compte que j’étais tout seul dans cette discipline.
Tribunes Romandes Est-ce que la réussite est aussi une affaire la chance ?
Je ne crois pas vraiment à la chance, mais je dois dire dans un langage standard que j’ai bénéficié de deux ou trois coups de pouce du destin. D’abord par le remplacement d’un artiste absent dans un hôtel. On m’a demandé si je voulais exposer mes petits dessins. J’ai accepté. Par hasard, une New-Yorkaise de passage a aimé mon travail et, deux mois plus tard, je me suis retrouvé à New York… J’aurais pu hésiter car la direction n’était pas très claire. Beaucoup de gens auraient refusé. J’y suis allé. Le rêve est né, le voyage avec… J’étais dans la spirale ascensionnelle ; sans cela, la chance n’aurait pu naître… L’intellect ne m’a jamais rien apporté. L’instinct me donne à penser que tout peut réussir. Ce n’est pas parce que j’ai quelque chose en plus, mais en moins que je réussis. C’est peut-être un grain de folie, une forme de liberté que je m’autorise ?
Tribunes Romandes Vous travaillez entre trois heures du matin et deux heures de l’après-midi; un tableau prend en moyenne cent heures pour voir la lumière, d’où vient votre inspiration ?
Je ne compose pas mes toiles avec une intervention intellectuelle. Mon mécanisme est beaucoup plus simple. Je m’explique : beaucoup de personnes ont, au réveil ou dans un demi-sommeil, ce bombardement d’images parfois drôles, cocasses ou surprenantes. C’est à cet instant que je trouve mon inspiration, en saisissant une image. Elle est plus ou moins figée dans ma tête. Je n’y pense pas, je ne l’intellectualise surtout pas, car la bloquer reviendrait à bloquer le détail et l’effacer dans son ensemble. Au contraire, j’arrive à l’oublier et à la reprojeter instinctivement sur la toile. Je la restitue sans me forcer, ni penser. L’ennemi numéro un de l’être humain c’est l’intellect. Il amène le doute sur nos capacités de création. On perd confiance. L’instinct est l’essentiel.
Tribunes Romandes Quel est l’objectif de votre lieu d’exposition ouvert à Giez en 2012 ?
Le but, c’est que les choses soient présentées dignement. Je souhaitais créer une sorte de galerie, un lieu où l’on se sent bien afin de voir mes tableaux et de rentrer dans mon monde un peu particulier. Un monde qui n’est pas seulement le mien, mais un monde à chacun et à chacune puisque nous rêvons tous. Je crois que j’avais simplement envie d’un endroit pour recevoir les gens et passer un bon moment.
Tribunes Romandes Quelle est la place réservée à la femme dans votre œuvre ?
J’ai une totale fascination pour la Femme et les femmes. D’ailleurs, j’ai rencontré ma femme en 1976. Je trouve la femme fascinante. C’est un pôle d’attraction fascinant. J’aimerais ajouter d’avantage de toiles avec des femmes mais d’une part, une sélection technique s’opère par la complexité de certaines réalisations et d’autre part, je ne peux pas créer que des toiles à forte sensualité.
Tribunes Romandes L’érotisme et la sensualité sont-ils importants à vos yeux ?
Tout part de là dans la vie en général. Je suis passionné par la dimension du couple. C’est personnel, je pense que c’est LA réalisation de l’être humain. Le couple, c’est quelque chose que l’on ignore un petit peu trop et c’est devenu un peu trop facile comme ça. Le ciment du couple, ça reste la sensualité. Et une femme reste sensuelle que si le couple existe vraiment à travers tout le reste. Si on lui fournit juste un barbecue et un logement, elle va dépérir rapidement en tant que femme. Mon épouse fait le contre-balancier de tous mes bugs et mes folies. Sans elle, je n’existerais pas en tant qu’artiste. C’est plus qu’un hymne à la femme, c’est une réalité. D’ailleurs, elle apparaît dans de nombreux tableaux. Elle vit tout ce que je fais.
Tribunes Romandes Comment arrive-t-on chez Drouot ?
C’est plutôt Drouot qui vient à vous. J’étais en Californie quand on m’a contacté. Je savais peu de choses sur leurs activités. C’est un établissement de prestige qui évalue et garantit une cote des artistes sur le marché international de l’art. Pour m’inscrire dans leur cotation, j’ai dû défendre ferme le crayon et sa valeur. Indirectement, ils m’ont amené à travailler sur de véritables toiles.
Ce qui les a intéressés, c’est d’avoir un « peintre au crayon », qui ne fait que du crayon. Parce que je tiens plus mon crayon comme un pinceau que comme un crayon. Je ne fais pas d’esquisse et je ne dessine pas. Un jour, un professeur parisien des beaux-arts m’a dit après avoir observé ma manière de travailler : « Vous ne savez pas tenir un crayon. Vous ne savez pas dessiner dans le sens étymologique du terme. Ne changez rien ! Vous êtes probablement le seul. »
Tribunes Romandes Qu’est-ce qu’un artiste ?
Dans le milieu, surtout en Europe, il y a très vite une jalousie et une concurrence entre les artistes. Un artiste doit savoir défendre son art et l’amener vers le public, c’est une partie du métier qui n’est pas simple, mais qui est nécessaire. Ce côté de son métier lui apporte une plus grande conscience de son œuvre. Il faut aller au-delà de son art dans une certaine forme de combativité. Par exemple, j’étais hyper timide, j’ai dû faire l’apprentissage de la langue, de la communication et même de l’anglais.
On reçoit un cadeau qui est ce crayon, cette plume, cette voix, ce pinceau et après ce n’est pas juste ça ; après, il faut se battre et c’est le combat que l’on mène qui devient la raison d’être de l’artiste et qui fait la différence. Il faut accepter le défi. Quand on est pris dedans, il n’y a plus de choix. Tous les artistes sont des artistes, il n’y a pas de distinction à faire.
Tribunes Romandes Travaillez-vous actuellement sur un nouveau projet ?
J’ai un projet qui démarre à l’automne qui passe par Singapour, Washington et Sydney. C’est une tournée avec les totems qui vont reprendre la route. Six tableaux orchestrés par un compositeur, Don Harper, qui dirige un orchestre symphonique. Concept totalement novateur autour des totems dont la première exposition musicale se tiendra au musée Getty à Los Angeles.
Interview réalisée par Nicolas-Emilien Rozeau – Chroniqueur pour le magazine Tribunes Romandes & Ecrivain
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